Le but ici n’est pas de tenir un langage universitaire mais de m’adresser à un public plus élargi pour lui proposer une façon parmi tant d’autres d’entrer dans la lecture.Mes textes sont en accès libre,par conviction.Ce n’est pas une question de gratuité. Je m’abrite sous les œuvres que je défends.Embarquer avec Le prince des sots dans cette nef des fous quelques journalistes et spécialistes des Arts visuels n’est-ce pas leur accorder ici une autre forme de salut. Frédérique Cohignac dîtes Frédoune B.P.29 22220 Minihy-Treguier France
Raymond Cousse
À travers ce que j’écris, je ne fais que rechercher l’autre. Recherche sourde, inquiète ou passionnée. (Journal daté du 26 avril 1968, revue Les Épisodes, n° 18 novembre 2003)
Au recto, la régularité des stries verticales contraste avec l’aspect lisse d’une délicate épaisseur. Au verso, les lignes verticales se prolongent tout du long ; les paroles de l’auteur semblent alors suspendues au temps : « J’espère trouver le temps de réfléchir sur ma vie tout en regardant le paysage à travers la fissure. » D’un côté, les colonnes cannelées forment un écrin en coquille autour de lèvres ourlées. De l’autre, les sillons s’ouvrent, tel un rideau, pour qu’un œil droit solidement ancré au beau milieu du paysage prenne forme. Le robuste monument de granit se situe un peu en bordure du chemin de sable, à la marge. Cette sculpture empiète cependant assez sur la pelouse pour ne pas passer inaperçue. Elle porte le nom de Distant View. Le maître d’œuvre souhaitait peut-être amener les passantes et les passants à s’écarter légèrement des sentiers battus pour prendre le temps d’envisager d’autres horizons.
La discrète suscription du sculpteur revêt un caractère autoréflexif. Les propos tenus traversent le granit de part en part et confèrent à cette trouée une bien belle allure, celle d’une Bretagne ouverte et tolérante. L’organe de la parole et du souffle est médiation entre la situation où se trouve un être et les mondes inférieurs ou supérieurs dans lesquels elle peut l’entraîner. C’est ce que me raconte le Dictionnaire des symboles (collection « Bouquins » chez Robert Laffont paru en nov. 1989, p. 140). Me promenant ici c’est à cette œuvre du Breton Raymond Cousse que je songe : Stratégie pour deux jambons édité par Flammarion en 1978. Moi aussi j’aimerais trouver le temps de réfléchir… à ce roman pour en proposer une étude. Ne vous semble-t-il pas illustrer parfaitement cette fonction de médiation qu’est la bouche, symbole de puissance ?
Sous la rubrique ZONE FRANCHE Jean-Pierre Cescosse rend un drôle d’hommage à plusieurs pamphlétaires dont Raymond Cousse.
Nous pouvons donner la référence du texte de Jean-Pierre Cescosse, contactez-nous.
Cette chronique débute de manière tout à fait simple en réfléchissant au sens des mots et particulièrement celui du mot bêtise. Emboîtons-lui le pas. Drôle est un adjectif employé dans le nord de la France et en Belgique comme synonyme desingulier, à propos de ce qui demande une attention particulière .C’est un peu l’opposé de bête qui lui indique quelque chose d’usuel, d’ordinaire.Un bête balai ,un bête journal etc.
Jean-Pierre Cescosse est écrivain et je ne le connaissais pas. Je l’ai découvert la semaine dernière en lisant La nouvelle Quinzaine Littéraire de ce début juin. Ses mots résonnent non pas comme ceux de quelqu’un qui juge mais comme ceux de quelqu’un qui lit. Il nous fait entendre « la drôlerie furibarde » de Raymond Cousse et c’est avec une émotion palpable qu’il répond ensuite fort bien à l’épineuse question initiale formulée en intitul:
Faut-il « pamphlétiser » les pamphlétaires ?
Dans son article j’entends à la fois la peine d’un homme ravi par la lecture de Cioran mais aussi l’envie de l’auteur de livrer des impressions de lecture très personnelles.Il explique franchement qu’il s’est lassé de Philippe Muray, ensuite il s’approche lentement de ce qu’il veut nous dire et nuance avec délicatesse son propos.Ainsi il reconnaît les talentueux coups de semonce de Raymond Cousse dans A bas la critique, et sans nier qu’ils peuvent revigorer, précise aussitôt que ce n’est pas systématique, tout dépend de notre humeur.A propos de Cioran il développe quelques lignes sur le scepticisme en littérature et on peut tout à fait suivre le fil de sa pensée.Souvenons-nous de Montaigne par exemple dans les Essais ( livre second ). « La plus calamiteuse et frêle de toutes les créatures c’est l’homme et quand et quand (en même temps) la plus orgueilleuse.(….)et va se plantant par imagination au dessus du cercle de la Lune et ramenant le ciel sous ses pieds. C’est par la vanité(…)qu’il se trie soi-même et sépare de la presse(foule)des autres créatures taille les parts aux animaux ses confrères et compagnons(..)Par quelle comparaison d’eux à nous conclut-il la bêtise qu’il leur attribue ? » Les pamphlets comprennent des attaques personnelles virulentes toujours difficiles à recevoir par le public car on ne saisit pas toujours les enjeux littéraires.Retrouver le sens du grotesque en se remémorant Ubu roi d’Alfred Jarry est libérateur.De la même façon Jean-Pierre Cescosse nous invite à mieux prendre en considération le niveau de scepticisme des auteurs car il est important de ne pas perdre de vue d’où l’on cause.Il est lui-même écrivain et connaît sans doute le fardeau que peut devenir la tension interne à l’organisme que Montaigne nomme plus loin dans son livre un grand conflit° « Celui qui ,d’une douceur et d’une facilité naturelle,mépriserait les offenses reçues,ferait chose très belle et digne de louange;mais celui qui ,piqué et outré jusques au vif d’une offense s’armerait des armes de la raison contre ce furieux appétit de vengeance ,et après un grand conflit °s’en rendrait enfin maître,ferait sans doute beaucoup plus.Celui-là ferait bien et cettui-ci vertueusement;l’une action se pourrait dire bonté ; l’autre vertu,car il semble que le nom de la vertu présuppose de la difficulté et du contraste ,et qu’elle ne peut s’exercer sans partie(adversaire). »
La littérature nous préserve des apparences, tout à fait d’accord avec vous Monsieur Cescosse. Après avoir lu des écrivains nous emmener trop loin, trop près du mur qu’ils n’ont pas construit entre les humains ,on voit mieux le mur. Nous avons ensuite beau jeu de disserter et trouver la juste mesure. Comme le rappelle sur la couverture de ce bi-mensuel la citation de Maurice Nadeau : « l’œuvre vaut toujours plus que le bien,ou le mal,qu’on dira d’elle. »Vous avez l’honneur de citer A bas la critique et de présenter son auteur en resituant son pamphlet parmi d’autres et quels autres!Thomas Bernhard Mes prix littéraires ou bien encore Baudelaire Pauvre Belgique. Je mesure la joie,la satisfaction que vous m’offrez!Alors permettez-moi de la partager et de prolonger le plaisir de cette conversation par une phrase de Stratégie pour deux jambons pour faire écho à l’extrait que vous avez proposé.« Cochons, porchers et charcutiers mes frères, équarrisseur mon papa ayons à cœur de nous serre les coudes si nous ne voulons pas un jour nous serrer la ceinture. »La littérature met en mouvement les autres êtres.On les trouve plus ou moins humain surtout s’ils se comportent comme ils n’apprécieraient pas qu’on se comporte avec eux.Tout est une question de discernement, on exclut l’autre de ses connaissances, de ses relations pour des raisons qui sont quelquefois discutables et la littérature en effet les discute .Les poètes créent du sens en associant librement les mots de tous les jours les uns aux autres d’une manière subjective.Mais ils ne peuvent à eux seuls maintenir ces espaces de rencontre essentiels, fondamentaux, vitaux pour les êtres humains, que sont les livres, indépendamment de la question du support. Ils se battent et se débattent pour proposer un espace commun ouvert à l’altérité. L’autre est-il humain lorsqu’ on l’a tellement étiqueté, qu’il est assujetti ou réduit à n’être qu’un double de ce qu’on croit être .Un bête miroir ne remplace pas l’âme ou la psyché ni la conversation car au-delà c’est bien un lien qu’on tisse. Pourquoi la Parques chère à Robert Pinget est bredouillante? C’est à nous en lisant d’émettre aussi des hypothèses. S i on ne peut plus que répéter quelques sons comme un écho que reste-t-il de nous ,de nos rencontres ? Les mots dont les gens ne disputent plus le sens se vident de leur sens et se dessèchent au soleil comme de la boue. La parole et les Arts de la parole comme on disait en Belgique ne remplacent pas les actes mais ils nous amènent à changer. Sommes-nous capables de nous métamorphoser sans la littérature ? Un joli poème de Samuel Beckett évoque Les os d’Echo. En démocratie tous les citoyens revisitent les mythes et toutes les histoires qui se racontent. Une personne peut ressentir qu’un artiste « s’égosille » mais on ressent autre chose si on sait que le mot désigne chez les oiseaux un chant long et fort quand chez les êtres humains il désigne plutôt la souffrance de la gorge lorsqu’on force sa voix.Et si on a lu Watt de Samuel Beckett dans lequel il est question d’un « gosier humain » alors on peut encore poursuivre plus loin la réflexion. On ne peut pas dire que j’aime bien les jeux de ballon mais j’avais donné une rédaction sur l’amitié à une classe de jeunes âgés d’une quinzaine d’années. Les élèves footballeurs m’ont tous répondu quelque chose d’intéressant car ils savaient ce que ce mot là voulait dire. Mais beaucoup de leurs camarades âgés de quinze ans, adeptes des réseaux sociaux ,au bout d’une demi-heure, n’avaient plus grand chose à me dire. Ils ne sont pas vides pourtant mais pourraient le devenir. Etre seul avec soi-même pendant un laps de temps suffisant pour descendre en soi puis formuler quelque chose que soi-même on trouve intéressant à dire est un exercice difficile. Dans nos sociétés, le plus facile n’est pas de se relire, d’assumer. Montaigne(livre second ) ose exprimer les difficultés à percevoir ce qui se passe à bord de son corps qui comme un navire affronte l’immensité de l’océan. « Moi qui m’épie de plus près,qui ai les yeux incessamment tendus vers moi, comme celui qui n’ai pas fort à faire ailleurs,à peine oserai-je dire la vanité et la faiblesse que je trouve chez moi. (……)ou l’humeur mélancolique me tient ou la colérique (…)Quand je prends des livres,j’aurai aperçu en tel passage des grâces excellentes et qui auront féru mon âme; qu’une autre fois j’y retombe, j’ai beau le tourner et virer ,j’ai beau le plier et le manier, c’est une masse inconnue et informe pour moi. (…)chacun en dirait autant de soi, s’il se regardait comme moi. Notre corps est chargé comme un navire de culture et d’histoire et Plantu quand il dit respecter les religions parce que les gens adhèrent aux dogmes avec leurs « tripes » sait de quoi il parle. A Jean-Pierre Cescosse il semble que les écrits de pamphlétaires reflètent des sentiments d’amour et de haine de soi mêlés les uns aux autres.Montaigne a douté de l’utilité de la torture(la question) et s’est élevé contre la destruction brutale et violente des civilisations différentes de la nôtre en avertissant qu’alors c’est notre civilisation que nous mettons en danger .N’ayons pas peur des mots car ils reflètent ,oui, Jean-Pierre Cescosse, nos sentiments.Eugène Ionesco nous donne le courage d’affronter les tueurs en intitulant une de ses œuvres Tueur sans gages.Ils existent, ceux qui tuent le mot altérité quand d’autres philosophes passent leur temps à essayer de le remplir de vie,de le remplir de sens comme un fruit se gorge de sève. Lorsque l’on est seul avec soi-même,cette tension intérieure,psychique est telle que Robert Pinget la mentionne dans presque toutes ses œuvres. Au théâtre de la Bastille(pas l’opéra) était représenté dans une adaptation de l’une de ses pièces un puits sur la scène.Le spectateur peut alors se représenter les mots comme de l’eau,comme jaillit la pluie,des différences de température dans les nuages,lorsque le froid et le chaud se rencontrent. Dans L’ennemi Robert Pinget note au n°140:« Ce rêve où il est le double de soi. L’ennemi,luimême acharné à sa perte.Sortir du rêve.(…) » Les différences produisent aussi des orages et des déluges qui ,en mer, sont terrifiants .Qu’on pense au récit d’Homère.Il s’en passe des choses avant qu’un auteur arrive à écrire ce qu’il souhaite et s’il n’est pas entendu alors il ne peut se remettre de l’effort et stabiliser son navire.Comme on tombe dans un puits, on disparaît dans la tourmente. Robert Pinget numérote les textes de 1 à 140 et comme nos corps sont marqués par les mouvements répétés, les mots laissent ici des traces de leurs élans au n° 28« Traquer l’esprit mauvais .Sauver l’oeuvre .D’autres personnages sur ce thème qui double le premier et doit le refondre en marge du bavardage,le placer dans le creuset du beau travail.Quel opérateur?Avancer à tâtons dans l’aire des possibles.Pas d’acception de personne.Ineffable présence en fin d’aventure. »puis au n°44 « Grande fatigue.(….)De ce dépit, la force.Celui qui parle doit confondre l’adversaire .Pas d’alternative. » puis au n° 100 « Texte primaire à transformer .Contraires à conjuguer.Processus en cours.Paradoxal détachement pour mener les choses à bonne fin.Déjà le but tenu pour inaccessible.Seul stimulus » Comment mieux partager avec le lecteur la recherche,comment lui ouvrir plus grand les portes de son atelier d’artiste?Robert Pinget est d’une générosité à couper le souffle.Lorsqu’il écrit « entende qui a des oreilles » cela signifie pour moi que cette part d’humanité il va la chercher loin pour la partager avec le plus grand nombre,sans dictionnaire spécialisé.Quand on pense à tous ceux qui dans le monde donneraient beaucoup pour avoir un petit mot.Ce n’est pas parce que les gens ne sont pas gentils qu’ils ne se parlent pas mais parce qu’ils n’y arrivent plus.Lorsque le mot altérité est mort rien ne repousse.Les forces destructrices se mettent en place pour tenter de détruire et faire le vide afin que s’installe un nouvel univers ou un nouvel équilibre .L’être humain n’est pas fait pour vivre seul et il n’a pas seulement besoin d’échanger de l’air ,de la nourriture ,de l’eau avec son environnement ,il a aussi besoin d’échanger des mots .Les écrivains nous montrent le chemin.Julien Gracq regrette dans son pamphlet La littérature à l’estomac la raréfaction du public spécialisé ,des pairs et il explique que la multiplication de savoirs de plus en plus sophistiqués et de plus en plus inaccessibles au plus grand nombre entraîne une raréfaction du public et aussi une disparition d’un public averti qui relaye l’information. Lorsque les gens renoncent à leur propre « pensée formelle » c’est le terme employé par Julien Gracq pour tenter de définir la littérature, lorsque leur pensée ne revêt plus une mise en forme pour qu’un alter ego échange, réponde ou trouve quelque chose à y redire alors la sociabilité est un vain mot.Que dire de ceux qu’on oblige à se défausser de leurs mots comme on pratiquait la saignée du temps de Molière ?On lira peut-être un jour plus et mieux qu’aujourd’hui L’inquisitoire de Robert Pinget. Que dire de ceux qu’on encercle dans leurs contradictions et qu’on enferme dans leurs ressentiments voire dans une image figée d’eux-même ?Les considérations morales et les dévotions par trop zélées ne doivent pas l’emporter.Elles rendent le langage inintelligible à ceux qui n’appartiennent pas à la même communauté , scientifique , religieuse ou autre. Et si Montaigne n’est pas d’un grand réconfort à ceux qui peinent à lire les pamphlets qu’on écoute Victor Hugo « on se plaint quelquefois des écrivains qui disent MOI.Parlez de nous leur crie-t-on, hélas!Quand je vous parle de moi ,je vous parle de vous.Comment ne le sentez-vous pas?Ah insensé qui crois que je ne suis pas toi »Car cela fait du bien aussi de mêler des voix , c’est toujours un peu de chaleur, comme sur le tableau Les acrobates de Fernand Léger.Ensemble nous ne ressemblons ni seulement à nous-même ,ni seulement aux autres.L’effort que nous propose de faire Robert Pinget d’exercer nos oreilles est à faire aussi avec les pamphlétaires pour que la littérature nous emmène loin de notre « vermine humaine » Jean-Pierre Cescosse raccompagne Cioran « il s’est éloigné des cortèges pour rire,penser ,écouter Bach et fondre dans l’or des mots ,sa part d’inconsolable ,de solitude et d’effroi . »Cette belle phrase exprime la tendresse avec laquelle le journaliste s’éclipse, aussi belle que la lune ces jours-ci.La nouvelle Quinzaine Littéraire a l’honneur de citer sous sa plume le recueil de lettres ,pourtant intitulé « A bas la critique » et illumine cette autre belle phrase de Raymond Cousse : « L’art véritable se situe toujours du côté du sensible,de l’émotion ,de la musique bref en marge des pouvoirs de toutes natures. »
Toutes les images et les photos visibles sur ce site le sont à la gloire de Cécile Cousse. Ce premier texte introductif,présentant l’oeuvre que leur père leur a dédiée est destiné à Clara,sa sœur .
Peter Handke
Grand, ça veut dire : il donne sa place à l’autre. Et il pleut aujourd’hui au Petit-Clamart, beaucoup où j’écris ces lignes au lieu d’une préface. (Raymond Cousse et Jean-Luc Bitton, Emmanuel Bove. La vie comme une ombre, éd. Le Castor Astral, 1994)
La légende accompagnatrice présente brièvement le parcours artistique du sculpteur. « Il connait bien le granit », est-il indiqué. Autant que l’auteur autrichien Peter Handke connait et reconnait les arbres de la forêt à leurs feuilles, les champignons à leur texture et aux nuances de leurs couleurs. Ni l’enchevêtrement des végétaux ni les griffures des ronces dans les taillis ne le dissuadent de parcourir les collines boisées à la recherche de son ami d’enfance, disparu. Poursuivons la lecture de la légende : « Le cycle de l’eau ressemble à celui de la vie humaine déversée par les rivières dans la mer, elle s’évapore avec le soleil pour revenir sous forme de pluie. » L’écrivain se remémore « la rumeur des frênes » (p. 17) et tout ce qui conférait à sa cueillette la singularité d’« un trésor ». Celui qu’il nomme « mon fou de champignon » (p. 15) finit par réapparaitre, transformé, confiant. « Il devenait partie prenante » (p. 73) ; « les champignons… étaient l’ultime aventure et il en était le prophète ». L’auteur conclut en dernière page « la part de conte, quand tout est en jeu est ce qu’il y de plus réel ».
Comment « cette histoire, venue du monde des champignons » a-t-elle « pris sa place, en dépit de tous les bavardages venimeux du quotidien » ? Pourquoi cet essai sur le fou de champignon sous-titré « une histoire en soi » (Gallimard) se lit aussi comme une histoire en nous ? « les formes surprenantes des deux faces de La Colline et la Crique évoquent la complémentarité étroite entre la terre et la mer ». À marée haute les lignes s’arrondissent, la crique emplie de ses flots garde l’empreinte des vaguelettes ; à marée basse on aperçoit la colline, figurée par la rondeur d’une voûte, ou bien d’un arc-en-ciel ? Les filets d’eau s’écoulent, telle une bonne pluie et s’attardent en flaques le long des quatre piliers. Ces rochers maintenant à découvert ressemblent à un mur des Lamentations par les lignes, traces en écho à celles écrites, représentées sur la couverture du livre paru en allemand chez Suhrkamp en 2013.
Ces deux essais de Peter Handke paraissent de chaque côté du Rhin, respectivement en 2012 et 2014 pour Essai sur le Lieu Tranquille/Versuch über den stillen Ort, traduction d’Olivier Le Lay,en 2013 et 2017 pour Essai sur le fou de champignons.Une histoire en soi /Versuch den über Pilznarren.Eine Geschichte für sich traduction de Pierre Deshusses.
Trois premiers essais de l’auteur autrichien, slovène par sa famille maternelle ,avaient été publiés entre 1991 et 1994 dans cette collection Arcades de Gallimard après leur publication entre 1989 et 1991 chez Suhrkamp Verlag:
Essai sur le juke-boxe/Versuch über die Jukeboxe
Essai dur la fatigue/Versuche über die Müdigkeit
Essai sur la journée réussi/Versuch über den geglückten Tag.
Pour celui-ci l’auteur,dans l’édition Folio a délicatement inséré à l’intérieur du livre un second titre:
Un songe de jour d’hiver/Ein Wintertagtraum
C’est parfaitement injuste
« Cette phrase n’est pas de moi » mais bien de Peter Handke chère Madame la Première Dame de France,sous la protection de laquelle je me place ,pour écrire au fil de la plume ; malgré les circonstances.
Robert Pinget
Je tenais au mien, certes Mais combien j’aurais eu plaisir à un tracé fait par d’autres que moi, à le parcourir comme une merveilleuse ficelle à nœuds et à secrets, où j’aurai eu leur vie à lire et tenu en main leurs parcours. » Monsieur Songe pourrait bien se trouver sur cette ficelle à nœuds et à secrets, et chercher son équilibre, tout comme nous entre les mots songe-creux et songe-malice.
Madeleine Renouard : Chaque livre est un univers nouveau. (…)
Robert Pinget : Mais quand il nous arrive de nous relire, je dis nous parce que ça arrive à infiniment d’écrivains, on est un autre personnage, on ne se reconnaît pas. (Robert Pinget à la lettre, 1993)
La dédicace de Patrice Le Guen le repos du tailleur unit les sculpteurs « qui ont su depuis toujours » aux « amis des arts » « art toujours vivant » dans un même souffle un même élan. L’« hommage » au mécène Daniel Chhé se déroule d’« homme de passion » à « hommes qui extraient le granit » puis se décline avec rigueur et précision en trois paragraphes. Le fil d’Ariane découvre des fragments de vie jusque dans les plis de la tenue. Ainsi les êtres humains « se dressent » témoins de leur propre histoire. En gallois le soleil se dit « l’œil du jour ». Tel que le représente Patrice Le Guen le tailleur n’est pas sujet coup de marteau, il est libre et maitre de son temps. Monsieur Songe lui aussi « n’a plus besoin de personne pour lui dicter sa conduite » (p. 11). De son balcon il observe un bateau disparaître derrière un îlot. Le ton est celui d’un constat assez triste, froid malgré le soleil, comme si les pêcheurs ne reviendront pas. Le premier chapitre s’intitule la retraite. La retraite désignée à la fois l’action de se retirer et l’état de la personne retirée mais aussi le lieu où l’on se retire. C’est pourquoi cet abri de fortune me fait penser a l’écrivain trouvant refuge dans son livre, le personnage de Robert Pinget monsieur Songe ressemble au tailleur.
Samuel Beckett qualifiait le travail de son ami suisse « d’orfèvrerie », cette sculpture ressemble à de la dentelle. Sur les blasons un retrait évoque une pièce qui n’avance pas jusqu’au bord de l’écu comme sous le bras droit. Tout n’est pas parfait. Cependant, la chapelle est ardente. Placer quelqu’un en coupe réglée c’est lui imposer des sacrifices, des privations et le travail dans les carrières d’extraction souvent été associé à cette idée. La coupe en architecture comme ici « montre bien les dimensions relatives et les détails intérieurs », nous précise le dictionnaire Littré. Les lignes ici ne séparent pas, elles différencient les intervalles variés de face, puis attirent subtilement notre attention sur des pointillés. Les lignes nous conduisent de profil à distinguer les divers volumes ; la superposition des pavés nous incite à reconnaitre l’ardeur à l’ouvrage et suscite notre admiration. On apprécie encore la trace laissée à la terre à droite comme une empreinte. Patrice Le Guen a su « donner vie à cette matière qu’est le granit rose » aussi à Combourg où on retrouve la même délicatesse, la même finesse pour honorer mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand.
Le roman Monsieur Songe débute par un chapitre intitulé « Le retraité » et le commentaire placé en exergue « J’aurai dormi » prête à sourire. La distance qu’installe l’ironie est révélatrice de l’inanité de toute entreprise autobiographique, mais au lieu de se dérober, de se laisser tenter par cacher la réalité ou la présenter à son avantage Robert Pinget prend le parti de réunir, les commentaires notés dans ses carnets depuis 1956.pour donner naissance en 1982 à ce double de lui même
Voici avec quelle précaution il nous le présente dans l’avant-propos.
« Pendant une vingtaine d’années je me suis délassé de mon travail en écrivaillant les histoires de Monsieur Songe. (…)un volume qui est, je le répète, un divertissement. » Le suffixe « aille » peut aussi être entendu comme un son évoquant la souffrance. Le repos est sans doute bien mérité après un travail harassant qu’on a l’élégance de ne pas évoquer. Le registre de la langue m’apparaît populaire, il rappelle la « gouaille » d’un travailleur.
Le songe peut être défini comme « l’ensemble des opérations irrationnelles des facultés intellectuelles en partie éveillées chez une personne qui dort ». D’emblée donc l’écrivain doute et son univers est celui de l’entre-deux. Le mot songe est très ancien et nous amène à considérer l’œuvre des artistes à l’aune du temps qui passe. Racine dit d’un mal passé, disparu, qu’il n’est plus qu’un songe.
« Songez-y » signifie attention vous êtes dans l’erreur, il vous faudra vous remettre en question. Or effectivement Mr Songe est un écrivain qui passe le plus clair de son temps à tout remettre en question, y compris lui-même. Mais pas seulement lui-même.
Le fait de dire « je le répète » prouve que l’artiste ne se sent pas toujours bien entendu, bien perçu. Peut-être éprouve-t-il alors la nécessité de dire ici ce qui lui semble important, ce qui lui tient à cœur.
Monsieur Songe n’est pas à la recherche de certitudes ou d’explications rationnelles « Pour sortir d’une impasse il faut en prendre une autre » p23 Robert Pinget dont l’un des livres s’intitule L’Hypothèse necherche pas à communiquer ce qu’il sait mais bien à faire partager un cheminement. Il nous apprend à découvrir ensemble où nous emmène l’écoute p 106 « suite possible »
On peut difficilement le cerner, le définir. L’artiste est présent au monde mais tout en étant un peu ailleurs. Le personnage tient un discours sur lui-même et commente dans un métarécit le discours qu’il tient.
Au travers des interventions de son personnage Robert Pinget n’hésite pas à s’amuser de la curiosité du lecteur, qu’il déjoue, peut-être aussi pour le mettre en alerte et le rendre autonome, indépendant. Dès l’incipit le lecteur ne prend pas tout au pied de la lettre et p 63 alors que le titre du chapitre apparaît « Une existence falote » le commentaire de Monsieur Songe « Dit-il » marque la rupture entre ce que dit le narrateur et ce qu’il faut en conclure. Ainsi sommes-nous capables d’imaginer un personnage imaginaire directement par l’écoute de sa voix sans qu’il soit représenté, comme on regarde un tableau non-figuratif.
Alain Robbe-Grillet disait de Robert Pinget qu’il est « l’inventeur du roman qui s’invente lui-même « et Robert Pinget a toujours déclaré n’avoir rien à dire, rien à représenter sinon la conquête d’un territoire intérieur et d’une « vérité morale » nous rappelle David Ruffel de l’université de Perpignan dans un article débattant de notions théoriques sur lesquelles nous reviendrons au printemps, après en avoir approfondi l’étude à l’université.
En lisant les œuvres de Robert Pinget on a souvent l’impression que sa voix nous donne à entendre des révélations car nous sommes surpris par l’effet sur notre oreille alors que le sens reste à chercher et n’apparaît pas de manière explicite.
Aline Marchand dans sa biographie intitulée Robert Pinget Poète à Minuit, nous apprend que Robert Pinget apprécie Max Jacob or pour celui-ci « l’art est un jeu tant pis pour celui qui s’en fait un devoir. »
Alors essayons de jouer avec le titre.
Monsieur Songe semble donc ici nous tirer par l’oreille pour nous amener vers le doute. Ainsi je lis la lettre S mais j’entends aussitôt « est-ce ? » « On » « je » Le « je » semble effectivement se déployer dans toute la langueur d’un songe qui fait suite à une question.
Le titre fait se répondre et se rapprocher les deux premières syllabes des deux mots « mon » et « son ».
La proximité sonore s’ajoute à celle du sens. Deux pronoms personnels caractérisant et différenciant ce qui est mien et de ce qui est sien, attire l’attention sur ce qui est propre à celui qui écrit.
Le « mon sieur « est défini dans la dualité
-par le son » je « comme un ensemble de sonorités qui définiraient sa personnalité
-par la substantivisation du verbe songer qui fait passer d’un état d’âme à un personnage comme si par le songe l’auteur pouvait en tant que personne, en tant qu’individu se fondre dans les mots et les sonorités.
Robert Pinget nomme le langage matériau alors cette sculpture intitulée Le tailleur me fait penser à lui.
La syllabe « mon » est liée au sens de Monsieur qui désigne ainsi une personne en liant sa respectabilité non pas à la possession de quelque chose de matériel mais à la présence d’autrui « si » « eux ». On peut peut-être y voir une « intériorisation du regard d’autrui » telle que l’évoque Nathalie Heinich dans son ouvrage sociologique Ce que n’est pas l’identité.
Le son « je » est placé à la fin comme quelqu’un de poli qui accueille l’autre en lui laissant la première place pour le mettre à l’honneur.
La substantivation du verbe songer fait passer d’un état d’âme à un personnage, comme si par le songe l’auteur pouvait se fondre dans les mots et les sonorités et puisque l’artiste nomme le langage « son matériau » j’ai choisi cette sculpture Le Tailleur pour illustrer mon étude.
Les lettrés connaissent Le songe d’une nuit d’été de Shakespeare, La vie est un songe de Calderon ou bien encore Le Songe de Strindberg dont ils trouveront certainement des échos dans l’œuvre de Robert Pinget.
Songer évoque le fait de penser à quelque chose après coup et correspond donc à une action qui s’inscrit dans la durée. Il s’agit de penser après un silence, une controverse, un débat, le mot évoque notre faculté à changer d’opinion.
Comme Monsieur Teste de Paul Valery l’artiste prend aussi le contre-pied de ce qu’on attend de lui.
Dans l’avant-scène du 15 février 1975 Pierre Franck en appelle à la liberté d’Esprit pour préserver nos sociétés de la robotisation et voit dans Monsieur Teste l’expression « d’une intelligence rayonnante ».Dans cette adaptation théâtrale on peut lire : « Vous n’ignorez pas cher Rêveur que dans les songes il se fait quelquefois un accord singulier entre ce que l’on voit et ce que l’on sait mais ce n’est point un accord qui se supporterait dans la veille ».A la fin de la pièce le personnage imaginaire paraît comme endormi.
Monsieur Songe confirme dans ses prises de position à de multiples reprises son désaccord avec les structuralistes. Quand le maître se dispute avec la bonne on peut s’interroger. N’est-ce pas là une manière de se moquer de certaines querelles littéraires ? On peut y voir une allusion à la dispute et déjà lire l’article disponible sur le site CAIRN info de Béatrice Perigot Dialectique et Littérature : les avatars de la dispute à la renaissance.
Le lecteur n’est à cette occasion ni considéré comme un étranger, ni comme un familier dans la maison de l’auteur car il est mis à distance par la dispute ; il pourrait éprouver de la gêne. David Ruffel dans L’écriture-fiction de Robert Pinget pense qu’« à Barthes qui voyait dans l’écriture une mise en scène de la communication sociale et une aliénation à la fable, Pinget oppose le « récit de l’écriture »et il cite les théories de Kate Hambürger et de Genette.
Le temps de l’écriture, de l’écoute de soi ne serait fructueux qu’en renonçant à obtenir des réponses à toutes nos questions. L’écoute vient avec le temps, un temps non maîtrisé, une respiration de l’esprit.
Dans Monsieur Teste Paul Valery évoque un puits, un « endroit des mots ».
David Ruffel analyse:
« Désécrire pour Pinget passe par l’écoute de la rumeur intérieure qui est aussi rumeur collective, cette « parole non parlante qu’identifiait Blanchot à propos de Beckett à la source de toute écriture, ce point neutre (le fameux « ton des romans) que l’activité pingétienne s’emploie à saisir comme point dans lequel s’originent et tout autant s’effondrent les fables et les diverses voix : « […] non-lieu définitif, la Parque bredouillante Les premières pages de Cette voix mettent en scène de manière saisissante cette activité d’audition :
« Ou s’approcher du puits écouter quelque bruit venant du fond un murmure un chuchotement s’approcher mains agrippées à la margelle murmure »
De quoi sommes-nous faits, à quoi nos existences se résument-elles, il est bien question avec la littérature d’en débattre et de trouver du sens. Trouver ce puits en nous, y descendre en ramener des mots, des voix est une source de bonheur. Chercher ce qui est vrai entre soi et l’autre, faire la part des choses entre ce qui correspond à une réalité et ce qui passe comme chimère. C’est à nous, lecteurs, lectrices, de faire la part des choses
Les pensées de l’écrivain sont tout à fait pertinentes et stimulantes. P106 « on a de passé que pour autant qu’on se le dise ou qu’on projette de se le dire. Supposé le cas de quelqu’un qui n’aurait jamais évoqué son passé ou dont personne ne l’aurait évoqué, ce quelqu’un n’aurait jamais existé » Cela a l’air anodin et est qualifié de sophisme par l’intéressé. Et pourtant écoutons un peu de Paul Ricoeur extraits de Du texte à l’action pour « rassembler les formes et les modalités dispersées du jeu de raconter. (..)A l’encontre de ce morcellement sans fin, je fais l’hypothèse qu’il existe une unité fonctionnelle entre les multiples modes et genres narratifs. Mon hypothèse de base est à cet égard la suivante : le caractère commun de l’expérience humaine, qui est marqué, articulé, clarifié par l’acte de raconter sous toutes ses formes, c’est son caractère temporel. (…)Tout ce qu’on raconte arrive dans le temps(…) et ce qui se déroule dans le temps peut être raconté. Peut-être même tout processus temporel n’est-il reconnu comme tel que dans la mesure où il est racontable d’une manière ou d’une autre. »
Parce que c’est anodin parce qu’on ne s’y attend pas la voix de Monsieur Songe nous emmène loin tout en étant proche de nous, car elle n’est pas factice, elle n’enjolive pas. Elle est très attachante mais il ne renonce pas à reconnaître l’ambivalence du bien et mal. Il reste entre-deux avec beaucoup de délicatesse. Il partage son quotidien avec simplicité, générosité et la dérision amène l’humour. L’esprit aussi doit se détendre et ce faisant nous lâchons prise pour nous émouvoir de son amertume ou son désarroi car le dernier chapitre est intitulé « ah la belle époque ».
La réappropriation de la voix de Mr Songe passe donc par l’apprentissage du lecteur : cette lecture lui apprend à songer par lui-même.
Il ne s’agit pourtant pas de savoir ce que fait Monsieur Songe et d’en déduire des considérations intellectuelles intéressantes. Il s’agit d’accepter de lire, c’est à dire d’entendre d’abord l’autre dans sa différence, dans sa spécificité et de l’accepter comme tel au lieu de chercher à se faire d’abord une idée du personnage, à se le figurer, à le comprendre. Entendre ce qu’il a à dire, quel qu’il soit, pas comme s’il nous raconte une histoire ou son histoire. Communion et langage expérimentation Monsieur Songe transmet au lecteur les « objets artistiques » que sont ses notes sans les séparer des conditions de leur origine, d’où l’intérêt du récit au quotidien, de ce qui attire son attention, de ce qui fait la vie de tous les jours.
En quatrième de couverture des Editions de Minuit, 2011, Bertrand Poirot-Delpech salue l’artiste en ces termes : « Un Teste un peu flapi mais encore capable d’apporter des clartés sur le fonctionnement des esprits réputés plus verts. Son âme saugrenue le sauve des délabrements ordinaires. Il en tire des sons qui jusqu’au bout, ne seront qu’à lui, et enrichiront notre oreille. »
Nous souhaiterions montrer dans notre étude que cette œuvre rétablit ce que John Dewey déplore c’est à dire la disparition « du lien entre les œuvres d’art et le Genius loci dont elles ont autrefois été l’expression naturelle. Il explique que les arts, dotés d’une signification précise faisaient partie de la vie d’une communauté organisée. « Même à Athènes il était impossible de libérer les arts de leur enracinement de l’expérience directe sans qu’ils perdent leur dans notre signification. »
Ainsi la lecture de Monsieur Songe nous fait entrer dans Un espace littéraire pour reprendre le titre d’un livre de Maurice Blanchot, nous fait traverser un Espace du vide titre d’un livre de Peter Brook et résonne avec celle de L’espace du dedans cher à Henri Michaux dont voici un extrait
« Dessiner l’écoulement du temps
Au lieu d’une vision à l’exclusion des autres j’eusse voulu dessiner les moments qui bout à bout font la vie, donner à voir la phrase intérieure, la phrase sans mots, corde qui indéfiniment se déroule sinueuse, et, dans l’intime, accompagne tout ce qui se présente du dehors comme du dedans. (…)
Je tenais au mien, certes Mais combien j’aurais eu plaisir à un tracé fait par d’autres que moi, à le parcourir comme une merveilleuse ficelle à nœuds et à secrets, où j’aurai eu leur vie à lire et tenu en main leurs parcours. » Monsieur Songe pourrait bien se trouver sur cette ficelle à nœuds et à secrets, et chercher son équilibre, tout comme nous entre les mots songe-creux et songe-malice.
Traverser le vide en compagnie de Monsieur Songe (Robert Pinget), Essai sur le fou de champignons : une histoire en soi (Peter Handke) et Stratégie pour deux jambons (Raymond Cousse)
Traverser le vide en compagnie de Monsieur Songe(Robert Pinget), Essai sur le fou de champignons : une histoire en soi (Peter Handke) et Stratégie pour deux jambons (Raymond Cousse)
« Ô cadavres ,parlez! Quels sont vos assassins?
-Toi qui dors de son sang inondé ?Quel est ton nom?
-Mon nom était justice. «
Extrait de Victor Hugo Les Châtiments XV,I,1853.transmis par Madame Grammaire à qui j’exprime ici ma gratitude.
Ces trois récits débutent par des naissances dans des situations et des contextes différents.
La naissance est évoquée par la présence de la lumière dans le roman Monsieur Songe.Monsieur Songe cherche la lumière et c’est de cette manière que les nouveau-nés viennent au monde.De plus on remarque que Monsieur Songe se situe face à cette étendue d’eau salée qui pour les amateurs et amatrices de littérature représente une référence en matière de début.Ulysse est un des premiers récits écrits.Il raconte les épreuves d’un jeune homme séparé qui quitte sa famille pour la retrouver après de multiples périples et de nombreux dangers affrontés .Cette épopée a pu être qualifiée de voyage ou de récit initiatique.L’initiation est aussi une forme de naissance,de nouveauté.
Le narrateur observe un bateau de pêcheurs et ce mot désigne et fait référence dans la Bible et dans les récits de l’Ancien Testament à des personnes ayant commis une faute.De nombreux chrétiens comparent leurs fautes à celle ,originelle, correspondant à un récit de création du monde,dans lequel Adam et Eve sont chassés du paradis.Le mot pêcheur a gardé le sens de celui qui va sur l’eau pour ramener de la nourriture,du poisson, et de celui qui pêche, a commis une faute,par action ou par omission.
D’autres récits racontent les origines de l’humanité,des groupes humains avec chacun leurs pensées,leurs croyances, leurs prophètes et leurs pêcheurs.J’avais déjà évoqué dans mes deux textes précédents à l’onglet Robert Pinget, la dualité, la demi-teinte suscitée par le titre .On retrouve ici,cette ambiguïté liée à tout usage littéraire de la langue. Pour des peuples ayant d’autres pratiques religieuses,sacrées ou simplement des pratiques spirituelles dont la langue garde trace, l’eau est un symbole de purification, on se replonge dans un bain,c’est le signe d’un renouveau,d’un baptême ,d’une première fois renouvelée.
Lorsqu’on reconnaît avoir pêché,c’est après avoir fait le vide en soi,s’être par exemple reconnecté aux origines pour méditer,face à un paysage dans les traditions asiatiques, s’être mis en retrait du monde,ou encore avoir contemplé la nature pour y sentir peut-être à l’œuvre des principes de vie et percevoir notre position d’être humain.e,mesurer d’où nous parlons.La mer est une immensité,on en perçoit pas la fin Cependant comme le vide elle peut être traversée.Ce vide est présent par la couleur bleue,j’y reviendrai.L’absence est perceptible.D’une part la première personne du pronom personnel » je « n’est pas employée avant plusieurs pages. Le narrateur n’est pourtant pas absent de son récit,il se met en retrait.Dans les annexes de la version de ce mémoire,qui sera remis à l’université, vous trouverez un petit mot de la main de ma bonne-maman sur lequel il est inscrit au crayon à papier. « Depuis un mois ai Jacqueline ».A cette époque les chrétiens et de nombreuses personnes lettrées ne mettent pas leur moi en avant.Pascal un grand écrivain et philosophe connu « se méfiait du moi »m’a appris un de mes professeurs de stylistique,qu’il soit remercié ici.Cette apparition ,cette naissance,laisse à penser qu’écrire est une manière de renouveler le monde,une nouvelle entrée en matière,une nouvelle façon d’y être présent,Pour cet auteur,Robert Pinget ,il s’agit d’une nouvelle histoire,pour la lecture aussi.Je vous évoquerai les titres et l’art qu’il en a mais peut-être par vous même pouvez-vous sur le catalogue des Editions de Minuit prendre connaissance de ses titres et les apprécier. Pour des Étrennes ou pour prendre un nouveau départ quel que soit le numéro de l’année qui s’inscrit sur le calendrier,ses livres sont des recueils « La nuit des temps » est une expression qui lui est familière,une autre propre à son oeuvre est « à la page tant saison de »c’est dire s’il cherche l’ harmonie et se met à l’écoute de l’univers.La sonorité du mot « mer » est douce à entendre,la lecture fait aussi rêver simplement à la naissance des êtres humains.Lorsque l’ « embarcation des pêcheurs » disparaît,le livre paraît.Pourquoi l’écriture littéraire ne serait-elle pas une forme de compensation dans les échanges entre les être humains ?
Le moi n’est pas évoqué par un « je ». La lecture nous amène donc à imaginer en silence,à nous représenter quelqu’un qui ne prend pas la parole,mais qui écrit.Cet incipit présente un écrivain.